Lorsqu’on évoque l’entrainement en triathlon, on entend beaucoup parler des notions de VMA (vitesse maximale aérobie), de PMA (puissance maximale aérobie) ou de FTP (seuil fonctionnel de puissance).
Mais la puissance critique, ou Critical Power (CP) en anglais, demeure moins populaire, bien que tout aussi intéressante pour planifier votre progression à vélo (et même en course à pied). Définition, particularités, calcul, planification, on vous explique tout dans cet édito.
C’est parti !
Un peu de théorie
La puissance critique, c'est quoi ?
Commençons par définir simplement la puissance critique (ou vitesse critique en course à pied). Il s’agit de l’intensité qui peut être maintenue pendant une longue période « sans générer de fatigue ». Lorsque l’athlète dépasse cette puissance, il vient entamer ses réserves jusqu’à les épuiser plus ou moins vite suivant l’intensité.
Depuis les années 1950, il a été admis qu’il existe une relation entre le temps d’épuisement à l’effort (Tlim) et l’intensité délivrée (Wlim). On obtient donc une droite décrite par la relation Wlim = a + b x Tlim. Le paramètre « b » correspond à la pente de la droite et le « a » est la valeur de la puissance critique.
Concrètement, lorsque vous êtes dessous de CP, l’intensité de l’effort peut être maintenue de manière indéfinie. Mais dès lors que le palier de la puissance critique est franchi, vous allez dériver progressivement vers votre point de rupture. Évidemment, l’intensité de l’effort produit va jouer sur le temps de maintien avant l’épuisement.

Si l’on revient à la droite définie par relation Wlim = a + b x Tlim, elle permet de tracer la courbe rouge ci-dessus. L’aire comprise entre celle-ci et la puissance critique est appelée W’. Il s’agit d’une réserve d’énergie qui s’exprime en joules. La puissance critique étant la puissance d’équilibre aérobie maximale, dès qu’un effort dépasse CP, vos réserves anaérobiques et W’ vont diminuer. En revanche, si l’effort reste en dessous de la puissance critique, il n’y aura pas de diminution des réserves.
Différents systèmes énergétiques engagés
Comme expliqué précédemment, la puissance critique est la puissance à l’état dans lequel votre corps est à l’état d’équilibre aérobie maximale. On sait aujourd’hui que l’énergie produite au cours d’un effort peut provenir de trois filières énergétiques : la filière aérobie, la filière anaérobie lactique et la filière anaérobie alactique.
En fonction de l’intensité de votre exercice, ces trois systèmes vont être sollicités en symbiose et avec plus ou moins d’importance. La production d’énergie par le système aérobique étant illimitée, vous pourrez maintenir un effort inférieur ou égal à la puissance critique pendant une durée « infinie ». En revanche, pour le système anaérobique, la production d’énergie en limitée dans le temps.

Si on revient à la courbe tracée précédemment, cette capacité d’énergie produite par le système anaérobique correspond à l’aire W’. L’épuisement arrivera lorsque la quantité de travail maximale W’ sera réalisée.
Il est évidemment possible de recharger W’, à la manière dont vous rechargez votre téléphone. Mais le temps récupération nécessaire sera lié à l’intensité de l’effort fourni au-dessus de CP.
Quelles différences avec la FTP ?
Un petit rappel sur la FTP
La FTP, seuil fonctionnel de puissance, est la puissance maximale qu’un athlète est capable de maintenir pendant 60 minutes lorsque les conditions de performance sont réunies. On peut déterminer cette valeur à partir de différents tests comme celui de 20 min. L’athlète peut aussi effectuer un test de 5 min pour calculer sa PMA puis, par extrapolation, sa FTP.
D’un point de vue physiologique, il s’agit d’une estimation de votre seuil lactique. Celui-ci correspond à l’intensité d’effort à partir de laquelle le lactate s’accumule plus rapidement dans votre corps que ce dernier ne puisse l’utiliser. La fatigue va donc s’installer et vous allez progressivement dériver vers un point de rupture.
La FTP est aujourd’hui largement répandue dans l’entrainement des triathlètes et est le support dont va découler vos allures d’entraînements (PMA, sweetspot, tempo…) ainsi que vos allures de courses. Cependant, les méthodes de calcul sont souvent très approximatives, ce qui entraîne une estimation avec une grande marge d’erreur de votre FTP, et donc de toutes vos autres intensités.
Deux notions pour parler de la même chose ?
Lorsqu’on compare les notions de puissance critique et de FTP, on constate donc que ces deux valeurs sont des estimations du seuil lactique de puissance. Peu importe la valeur de référence utilisée à l’entraînement, votre niveau de fatigue accroîtra dès lors que vous dépasserez cette intensité.
Fréquemment, on observe pourtant que la FTP est légèrement supérieure à CP. Cette variation peut s’expliquer par la méthode de calcul utilisée. En effet, pour la FTP par exemple, il est très rare d’effectuer un test d’effort maximal sur 1 h ! On se sert majoritairement des tests de 5 min ou de 20 min.
Ce sont ces approximations qui sont responsables des variations observées entre les notions de FTP et de puissance critique.

Une meilleure individualisation avec la puissance critique
Là où la notion de puissance critique l’emporte sur celle de FTP, c’est sur l’individualisation de l’entrainement par rapport au profil de l’athlète. En effet, pour un travail à haute intensité, la maîtrise du paramètre W’ permet de quantifier exactement l’effort réalisable sur un temps donné ou à une puissance cible.
De plus, de nombreux logiciels ou appareils connectés comme les compteurs Garmin permettent un suivi de la valeur de W’ au cours de votre entrainement. Au-delà de l’individualisation de votre panification à long terme, cela permet aussi d’adapter vos séances en direct, suivant votre fatigue par exemple.
Enfin, il existe autant de profils différents que d’athlètes. Nous avons tous nos points forts et nos points faibles. Or, pour une FTP égale, deux athlètes peuvent être totalement opposés ! Le premier peut avoir de fortes qualités d’explosivité, il sera donc capable de produire une très forte puissance sur une courte durée. Cependant, lorsque l’effort s’allonge, sa puissance décroit rapidement. À l’inverse, un second athlète peut être très endurant et maintenir une puissance élevée pendant plusieurs heures. Mais lors d’un effort bref, il n’obtiendra pas des valeurs aussi élevées que le premier athlète. Pourtant, malgré leurs profils opposés, ces deux athlètes ont la même FTP.
L‘utilisation de la puissance critique et de W’ permet donc de cibler le développement précis d’une qualité à l’entrainement. L’analyse de la courbe de puissance et des différents points d’inflexion permet ainsi d’établir un profil précis de l’athlète.

Le calcul de la puissance critique
S'adapter aux différentes conditions d'entraînement
Place maintenant au concret ! Pour calculer votre puissance critique, il existe différentes méthodes qui vous mèneront toutes à un résultat plus ou moins équivalent. Cependant, vous devez vous assurer de réaliser vos tests dans un référentiel similaire à celui que vous allez utiliser à l’entrainement.
En effet, le terrain et le matériel utilisé vont grandement impacter les valeurs obtenues. Par exemple, entre le home trainer et l’extérieur, il n’est pas rare de voir des différences de puissance allant jusqu’à 10 %. Également, sur la route, on est généralement plus puissant en montée que sur le plat. Pour ce qui est du matériel, les triathlètes développent 5 à 15 % de puissance en moins sur leur vélo de contre-la-montre par rapport au vélo de route.
C’est pourquoi il est nécessaire d’effectuer des tests dans chaque condition dans laquelle vous allez vous entrainer afin de pouvoir adapter son référentiel d’entrainement en fonction du matériel utilisé ou du terrain emprunté.
Les protocoles de test
Au fur et à mesure du développement de l’utilisation de la puissance critique à l’entrainement, les méthodes de tests se sont affinées. Aujourd’hui, deux tests sont couramment utilisés : le 3 min all-out ou le cumul de plusieurs tests maximaux.
Le premier consiste à produire la plus grosse intensité possible pendant 3 min en commençant le test à bloc et en produisant un effort maximal de résistance à chaque coup de pédale. Vous devez donc donner le maximum durant 3 min pour maintenir la plus haute puissance possible. La puissance critique correspondra à la puissance moyenne produite sur les 30 dernières secondes du test.

Le second test consiste à réaliser deux efforts maximaux de 3 min et 12 min. À l’inverse de la première méthode, il s’agira d’effectuer un effort le plus régulier possible, à l’image d’un contre-la-montre. Vous pouvez réaliser ces deux tests au cours de la même session, mais avec environ 45 min de récupération pour être certain de produire un effort maximal sur chaque test.
Vous pouvez également cumuler ces résultats avec un ou deux autres tests de 6 min et de 20 min. En effet, cela permettra d’affiner les valeurs de W’ et CP. Cependant, dans ce cas, il est conseillé d’effectuer ces tests sur plusieurs jours pour être à 100 % physiquement, mentalement et nerveusement.
Calculer CP et W'
Passons maintenant à la partie qu’on a tous adoré (ou pas !) à l’école : les mathématiques. Même s’il existe aujourd’hui de nombreux calculateurs pour déterminer CP et W’ à l’issue de vos tests, il me parait important de connaitre les méthodes de calcul.
Le test de 3 min all-out ne nécessite pas de calcul pour CP car celle-ci correspond à la puissance moyenne produite sur les 30 dernières secondes du test. Pour le calcul de W’, c’est en revanche plus difficile et nous ne nous attarderons pas sur la (complexe) méthode de calcul ici.
Pour le test cumulant 2 à 4 efforts maximaux, il faudra utiliser la puissance moyenne produite sur 3 min et 12 min et les appliquer aux formules ci-dessous :

Vous pourrez également comparer avec les résultats des efforts de 6 min et de 20 min, notamment avec les formules présentées en dernière partie de cet édito. Cela peut vous permettre d’identifier vos points forts et vos points faibles.
Pour les calculs, le temps est exprimé en secondes, la puissance en W et W’ en kJ.
S'entraîner avec la puissance critique
Identifier vos points faibles
Comme expliqué précédemment, la puissance critique permet une évaluation d’un plus large spectre de vos capacités physiques. La FTP est une valeur unique plus ou moins fixe qui correspond la puissance maximale théoriquement tenable pendant 60 minutes. La puissance critique, avec W’, permet quant à elle de cibler les qualités à travailler à l’entrainement plus précisément.
Généralement, plus la valeur de W’ est importante, plus l’athlète dispose d’une forte capacité anaérobique. Il sera donc capable de produire des efforts très intenses et de les soutenir. Cependant, cette valeur de W’ reste dépendante de votre capacité aérobique, de votre sexe, de votre masse musculaire…
Attention également à ne pas vous focaliser uniquement sur la valeur de W’. En effet, se concentrer exclusivement sur son développement ne doit pas vous amener à négliger vos capacités aérobiques et vos efforts autour du seuil lactique. Veillez donc à varier les focus successifs à l’entrainement pour développer votre profil de manière optimale.

Monitorer votre progression
Le testing régulier de votre puissance critique peut vous permettre, à long terme, de monitorer votre progression. En effet, vous pouvez réaliser ces différents tests tous les 3 mois pour recalibrer vos zones d’entrainement. Ceux-ci ne sont pas très épuisants physiquement et mentalement du fait de leur courte durée.
Sur une longue préparation, cela permet aussi de contrôler les progrès effectués sur les zones d’entrainement définies. En effet, pour un triathlon longue distance prévu l’été, vous pouvez d’abord travailler vos capacités anaérobiques en hiver avant d’entraîner des qualités de plus en plus spécifique à l’approche de la compétition. Contrôler que vous avez bien élevé votre niveau à très haute intensité vous assurera d’avoir une marge de progression à exploiter à plus faible intensité.
Indispensable & Gratuit : Notre générateur de zones d’intensité à télécharger !
Estimer un effort maximal
Les paramètres CP et W’ ont l’avantage de vous permettre d’estimer une performance maximale sur une durée donnée ou à une puissance cible. Attention cependant, ces calculs sont valables uniquement pour des intensités supérieures à la puissance critique.
Cela peut donc s’avérer utile pour avoir une idée du temps de maintien à viser à une intensité donnée. Également, vous pouvez estimer la puissance visée sur triathlon courte distance. Il faudra malgré tout la revoir un petit peu à la baisse pour s’assurer de réaliser une course à pied à 100 % à la pose du vélo.

Pour les calculs, le temps est exprimé en secondes, la puissance en W et W’ en kJ.