Notre invitée du jour, Manon Genet, a un parcours singulier dans le milieu du triathlon : elle s’est révélée sur la Longue Distance en passant professionnelle à 27 ans, après avoir connu une montée en puissance fulgurante dans le milieu amateur.
Son parcours est celui d’une passionnée de sport depuis sa jeunesse, qui a saisi l’opportunité du triathlon pour en faire une histoire de vie. Un entretien sans langue de bois, qui en dit long autant sur l’athlète que sur la Femme derrière, puisque chez Manon, les 2 sont indissociables. C’est parti ! ✔️
Opentri.fr : Bonjour Manon, on est très heureux de te recevoir sur Opentri.fr.
Pour commencer, dans quelles dispositions abordes-tu cette année 2020, qui devrait se terminer par un retour à Kona en fin d’année ?
Manon Genet :
On espère ! (rires) Hawaï, c’est un objectif que j’ai depuis le début de ma carrière mais j’essaie de ne courir qu’un lièvre à la fois et de me focaliser sur un seul objectif. Mon premier Kona était en 2014 lors de ma 1ère année de triathlon en amateur puis j’y suis retourné en professionnelle en 2018. Ça n’a pas fonctionné en 2019 pour plusieurs raisons malgré de bonnes courses.
J’ai mis plus de choses en place en 2020 pour y arriver : dans mon équipe, mon entraînement, mon organisation quotidienne et mensuelle. J’aborde cette saison avec tous mes moyens et je veux faire en sorte qu’elle dure d’avril à octobre voire novembre.
A quoi va ressembler ton programme 2020 ? La priorité sera donnée aux Championnats du monde à Kona ?
Manon Genet :
Kona arrive en haut de la liste mais ça restera une conséquence. Ça ne peut pas être mon objectif puisqu’il est conditionné à une qualification. Avec le nouveau système, il faudra remporter un IRONMAN ou terminer derrière une athlète déjà qualifiée, ce qui ne laisse pas beaucoup de choix : il faudra être en pleine forme.
J’ai déjà couru 4 IRONMAN dans une année et ça reste trop pour moi à ce stade. Ça fait 4 ans que je suis professionnelle et je pense pouvoir être relativement performante sur 3. Pour un 4ème, cela demande d’aller piocher dans mes réserves et ça peut compromettre d’autres compétitions, ce n’est pas le but. D’autant que les meilleures athlètes ne font jamais plus de 2 IM dans l’année.
L’objectif principal pour la qualification à Hawaï sera donc l’IM d’Afrique du Sud le 29 mars
(c’est demain !). Si jamais ça ne passait pas, j’ai choisi l’IM de Nice pour plusieurs raisons : c’est en France, j’aime le public français, je connais le parcours par coeur et honnêtement, j’aimerais bien le remporter !
J’ai fait le choix de ne pas placer les mondiaux d’IM 70.3 en priorité car ils arrivent 1 mois après Hawaï et je ne suis pas certaine de pouvoir enchainer 2 courses à l’autre bout de la planète en 1 mois, ni physiquement, ni financièrement.
J’ai choisi plusieurs Half-IM au programme : une course du circuit Challenge avec Gran Canaria fin avril puis Aix-en-Provence ou Barcelone le 17 mai.
C’est le plan A ! (rires)
J’ai quitté mon boulot et je me suis donné 2 ans pour me qualifier à Hawaii en pro.
Petit retour sur tes dernières années : en 2017, tu décides de passer professionnelle après 4 ans de performances de 1er rang en amateur. A ce moment-là, dans quel état d’esprit es-tu ?
Manon Genet : C’était à la fois un changement indispensable pour passer un cap et un pari sur l’avenir. J’ai un parcours un peu « atypique » : j’ai d’abord fait des études littéraires, puis commerciales, avant de déboucher sur le milieu professionnel du sport où j’ai commencé à bosser en tant que responsable marketing dans une entreprise près de Toulouse. Et en parallèle de tout ça, je me suis mis au triathlon progressivement. D’abord dans un esprit loisir, puis quand j’ai observé que j’avais certaines qualités, j’ai commencé la compétition. Jusqu’à ce que le triathlon prenne énormément de place dans ma vie, jusqu’au point d’organiser mes journées autours de l’entrainement (et plus autour du travail).
L’autre problématique, c’est que la progression dans l’une des activités compromettait celle de l’autre. Etant quelqu’un d’entier qui n’aime pas faire les choses à moitié, je ne voulais pas me réveiller à 50 ans en me demandant ce qui se serait passé si j’avais osé.
Et à ce moment-là, je me suis blessé d’une fracture de fatigue au tibia et j’ai réalisé que je ne pouvais plus tenir ce rythme. Travailler 40 heures par semaine, s’entraîner 13 à 15h, courir des IRONMAN, rentrer de compétitions le dimanche soir à 3h du matin pour partir travailler à 7h : le rythme n’était pas tenable.
J’ai alors cherché comment rendre mon projet de triathlète viable, d’abord en voulant être la plus autonome possible et en faisant un maximum de choses moi-même. J’avais déjà cette époque la chance d’être accompagné par mon entraîneur (NDLR : Frédéric Lureau), et nous avons monté ce projet à 2. J’ai quitté mon boulot et je me suis donné 2 ans pour me qualifier à Hawaii en pro. Et je me suis dit : si tu échoues, tu repars à ton boulot précédent.
Mais le pari a été réussi ! Je n’irais pas jusqu’à dire qu’on vit du triathlon facilement, mais j’ai la chance d’avoir développé les atouts pour en faire une expérience de vie sur plusieurs années.
Et si l’on regarde la situation 3 ans plus tard : tu as décroché 6 podiums sur IM et 70.3, tu es la triathlète française la plus régulière sur longue distance jusqu’à devenir la tête de proue du LD tricolore : je suppose que le bilan que tu en tires est extrêmement positif.
Manon Genet : Le bilan est bien sûr positif car je progresse d’année en année, sur tous les plans. Après, on me désigne souvent comme la tête d’affiche au niveau français mais au niveau international, j’ai encore énormément de preuves et surtout de progrès à faire. Et c’est ce niveau international que j’ai le plus en tête : en France, combien de pros sommes-nous ? 3 ? Je ne suis pas dans cette compétition, j’ai envie de figurer au niveau international et de pouvoir grandir avec les triathlètes de renommée mondiale.
Ce n’est pas de la prétention, c’est de l’ambition. Pour moi, c’est la façon dont on fera grandir le triathlon longue distance en France.
Et pour valider ce plan de marche, quels objectifs tu t’es fixé au plan international ?
D’abord, la première chose sera de remporter une course IRONMAN. J’ai déjà fait des podiums mais il me reste à valider une victoire.
Ensuite, s’assurer d’être présente plus régulièrement sur les championnats du monde à Hawaii, que cela devienne la norme.
Et bien sûr, faire un résultat à Hawaii, il n’y a que ça qui parle ! Ce qui veut dire de valider un TOP10 dans un premier temps et ensuite, en progressant, de faire encore mieux.
En parlant justement de ces objectifs bien définis, il y a une formule très intéressante que tu utilises : “Un rêve avec un plan pour le concrétiser, c’est 50% du travail accompli.” Et pour atteindre les 50% restants, au-delà de l’entrainement au quotidien, qu’est-ce qui fait la différence ? Y a-t-il des valeurs que tu vas puiser dans ton passé et ton parcours atypique ?
Manon Genet : C’est une bonne question… Le plan, c’est assez facile, c’est de la théorie sur papier. La première chose ensuite, c’est de pouvoir le suivre et de l’adapter si besoin.
Pour le reste, c’est ma personnalité, ça fait partie de moi. Je ne revendique pas de « valeurs », ce sont des choses que j’ai appris de mes expériences de vie. Et c’est justement une de mes grandes forces : j’ai toujours su apprendre de toutes mes expériences, négatives comme positives.
Un autre facteur de réussite lié est ma capacité à être extrêmement lucide : sur la pratique du triathlon, la place de la femme dans le sport, mon potentiel, mon entourage, etc. J’analyse énormément mon environnement pour en faire une force. Et enfin, je pense que c’est grâce à mon équipe, qui me ressemble.
Le sport de haut niveau, c’est une forme de vie assez extrême !
Vu de l’extérieur, tu sembles être une athlète qui semble être très attentive à “l’entraînement invisible” et plus globalement très attentive à concilier les exigences du sport de haut niveau avec la recherche de bien-être et d’épanouissement personnel. C’est quelque chose que tu revendiques ?
Manon Genet : Je le revendique car le sport de haut niveau, c’est une forme de vie assez extrême. Et vivre dans l’extrême, ce n’est pas viable très longtemps. Je pars donc du principe qu’il faut équilibrer cette pratique avec ses besoins personnels. Les miens se sont construits au fur et à mesure de mes expériences de vie, de mes analyses et de mes erreurs. Ce qui me permet de re-situer ma pratique sportive dans ma vie.
La réalité, ce sont des semaines de boulot énormes, surtout quand on fait cela toute seule, et il faut bien sûr concilier cela avec une vie de famille, une vie de couple pour certains, une vie sociale. On n’est pas des robots et un équilibre entre tous ces domaines est hyper important.
Ça passe par des petits exercices que je fais régulièrement. Par exemple, je dessine 3 cercles : un pour ma vie sportive, un pour ma vie amoureuse et un pour ce que je fais pour moi, et je note chaque semaine ce que j’ai fait dans ces 3 sphères. Ça me permet de regarder si les choses sont bien équilibrées.
C’est très intéressant de se servir d’apprentissages issus d’autres expériences afin de nourrir ta vie de sportive…
Manon Genet : C’est aussi dû au fait que je souhaite avoir une carrière longue. Et la clé de la longévité, c’est l’intégrité physique et mentale. Donc je travaille beaucoup là-dessus, notamment avec une sophrologue, je lis énormément, ce qui me permet d’intellectualiser ma pratique du sport et de la faire évoluer.
Pour rebondir sur un point que tu évoquais : lorsque tu es passée professionnelle, tout a changé au quotidien avec ce nouveau statut. D’un côté, l’organisation de tes journées peut sembler plus simple du fait de ne plus devoir jongler entre 2 activités, mais de l’autre, tu te retrouves aussi la responsabilité de gérer une petite entreprise et la pression financière pour avoir des résultats et trouver des sponsors ?
Manon Genet : C’est tout à fait ça. On me demande souvent – et c’est drôle – ce que je fais à part m’entraîner. Mais la réalité, c’est que je n’ai même pas le temps de regarder Netflix ou de faire du shopping ! (rires)
Les premiers jours où je suis passé pro, mon quotidien a en effet beaucoup changé. Je n’ai pas augmenté mon volume horaire d’entraînement, mais j’ai largement augmenté mon volume horaire de repos ! Ce qui me permettait d’être à 100% à chaque entraînement et rien qu’avec ça, j’ai beaucoup progressé.
La qualité du travail a toujours été notre priorité avec mon entraîneur ; la quantité est venue au fur et à mesure pour ne pas casser la machine. Et les résultats sont arrivés petit à petit.
En parallèle, je suis quelqu’un qui souhaite maîtriser tous les plans de ma carrière, j’aime beaucoup le travail de communication, je suis notamment lucide sur ce qui peut me rapporter de la visibilité, donc de l’argent. J’ai donc commencé à beaucoup bosser là-dessus et les journées sont devenues chargées : du non-stop du lundi au dimanche. Quand je ne suis pas en train de m’entraîner, je suis sur mon ordinateur pour gérer les à-côtés que sont l’administratif, la compta, les partenaires et mes projets. Notamment celui du club qu’on a monté, qui compte une 40aine d’adhérents et pour lequel on organise des stages.
Avant, je bossais 40 heures par semaine, mais désormais je ne les compte même plus ! Déjà, je n’ai pas l’impression de travailler puisque c’est une passion et parce que l’enjeu est énorme : je suis responsable de ma carrière et de mon niveau de vie. Je suis un chef d’entreprise qui prend l’activité à bras le corps et qui se donne tous les moyens pour réussir.
Justement, au quotidien, ça ressemble à quoi une journée-type avec Manon ?
Manon Genet : S’il y en a une, la journée-type débute à 6h du matin lorsque je pars nager pour être dans l’eau un peu avant 7h. Je commence par 1h30 de natation avec mon club, ce qui fait entre 4 et 5000m selon le programme.
Je rentre et prends un petit-déj’ que je n’avais pas pris avant. Idéalement, j’enchaîne avec une petite sieste de 30 à 45 minutes – ce n’est pas toujours possible mais j’essaie de me l’accorder -.
Je pars ensuite rouler ou courir. Selon la période de l’année, c’est soit une course à pied courte mais intense – sur tapis ou sur piste – avec du vélo enchaîné, soit une très longue sortie vélo avec un petit footing derrière.
Ce n’est pas souvent les 3 sports, plus généralement 2. Mais ce n’est jamais vraiment une journée-type, d’autant qu’elles changent souvent avec les saisons. J’intègre énormément de musculation l’hiver en préparation physique, et beaucoup de spécifique à l’approche des compétitions -des heures de selle ou de course.
Au contraire, je ne m’entraîne pas du tout le soir, je déteste ça !
Ce qui représente quel volume et quelle charge de travail hebdomadaire ?
Cela représente une vingtaine d’heures lorsque je reprends en hiver, ça passe à 30/35 heures en stage et pour une semaine normale, ça tourne autour de 25 heures.
Le triathlon est arrivé à un moment où je ne voulais plus bosser en tant que salariée.
Pour reparler de philosophie de vie (sportive) en revenant un peu plus loin dans ton histoire avec le sport : tu as grandi dans une famille sportive, tu as un long passé de gymnaste, tu as connu les exigences du sport-études pendant 10 ans. Le sport, ça a toujours été une composante indispensable de ta vie ? Est-ce que ça t’a aidé à passer le cap pour en faire ton métier à temps plein ?
Manon Genet : Le sport a toujours fait partie de ma vie et je suis une passionnée depuis toute petite. Ayant grandi dans une famille de sportifs, ça fait partie de mon quotidien depuis toujours.
Mais je ne sais pas si c’est ça qui m’a permis de passer le pas du statut pro… Je me suis surtout rendu compte qu’être salariée dans une entreprise, ça ne me correspondait pas. Ce n’était pas la vie que je voulais, je ne voulais pas être subordonnée et j’avais envie de bosser pour moi. Mais ce n’est pas facile de se rendre compte de ça, de se l’avouer et de le retranscrire dans un projet concret.
Je crois que le triathlon est arrivé à un moment où j’avais compris que je n’avais pas envie de bosser en tant que salariée et où je présentais quelques qualités sportives à exploiter. Mais je ne crois pas que ce soit mon passé sportif ou mes années de sport-études qui m’aient permis de me lancer. J’ai plutôt l’impression que ces années, notamment de gym où la discipline est presque militaire, m’ont appris l’assiduité, la rigueur et l’indépendance.
Pour regarder devant nous, qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour 2020 ?
Un parfait équilibre de vie !
Enfin, quel est le conseil #1 que tu donnerais nos lecteurs pour devenir un(e) meilleur(e) triathlète ?
De croire en soi.
L’interview décalée
- Ta plus grande satisfaction sportive ? Ma 8ème place aux championnats du monde 70.3 à Nice en 2019
- Ton plus grand regret ? De ne pas avoir participé aux championnats de France de gymnastique en individuel
- Ton plus grand rêve de sportive ? Monter sur le podium à Hawaï
- La séance que tu aimes le plus ? Les multi-enchaînements vélo-course à pied
- Celle que tu détestes le plus ? Les multi-enchaînements vélo-course à pied (rires) Non je plaisante, c’est la VMA sur piste !
- Ton film culte ? Le 5ème Element
- Ta musique culte ? J’adore l’album « Dummy » de Portishead
- Ton astuce matos ? Mettre du talc dans ses chaussures pour absorber l’humidité à la transition
- Ta devise ou ta citation préférée ? « Tu seras aimée le jour où tu pourras montrer tes faiblesses sans que l’autre s’en serve pour affirmer sa puissance » (Cesare Pavese,
écrivain et poète italien)
Merci beaucoup pour cet entretien Manon, c’est assez rare que des athlètes se livrent autant et se montrent aussi entiers. On a été ravis de te recevoir et on te souhaite le meilleur pour la saison 2020 qui s’ouvre !
Manon Genet : son palmarès en bref
- Française
- 30 ans (1989) – 1m69 – 55kg
- Club : Lureau Sport Training
- Débuts en triathlon : 2013
- Palmarès :
- Vainqueur de l’IRONMAN 70.3 d’Aix en Provence 2018
- Vainqueur de l’IRONMAN 70.3 de Nice 2018
- 2ème de l’IM Wales 2019
- 8ème des Championnats du monde 70.3 2019
- 3ème de l’IM de Nice 2018 et 2019
- https://www.manongenet.com/
Crédits photos :Page personnelle FB Manon Genêt – @erisphere & @A.Azzola